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6.5.2025

La filière est “dans le dur”… mais ne perd pas espoir

Le secteur de la cuisine équipée a enregistré un nouveau repli en 2024, en réalisant un chiffre d’affaires TTC de 3,7 Mds €, en recul de 6,2 %. Si les raisons (notamment conjoncturelles) sont parfaitement identifiées et ne permettaient sans doute pas d’espérer un meilleur résultat, il n’en demeure pas moins que la filière a “dévissé”, en deux ans, de 12,5 % en valeur… et plus encore en volume ! Néanmoins, celle-ci ne perd pas espoir, loin s’en faut, et entend bien lutter pied à pied pour retrouver le chemin de la croissance… même si cette dernière ne sera sans doute pas au rendez-vous cette année.

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Communiquée à la presse le mois dernier, la décision prise par la direction de Cuisines Design Industries (CDI, marques Arthur Bonnet et Comera) de « mettre l’entreprise sous protection par l’ouverture d’une procédure collective (...) du fait d'une conjoncture économique particulièrement difficile » a “fait du bruit dans Landerneau”, pour reprendre la célèbre expression.

Mise en ligne par les médias professionnels sur le réseau social LinkedIn, l’information a en effet suscité de très nombreux engagements et commentaires. Et, à lire ces derniers, il semble que la profession se sente unanimement solidaire du fabricant sis à Saint-Philbert-de-Bouaine, en Vendée (85) : « Triste nouvelle, une si belle marque ! Courage à Dante [Dante Giacomelli, directeur général de Cuisines Design Industries, NDLR] et à toute l’équipe. La longue liste des entreprises françaises en souffrance s’allonge malheureusement », écrivait ainsi un confrère et concurrent ; « Mauvaise nouvelle pour l’industrie française du meuble en général, et de la cuisine en particulier. Courage à Dante, son dirigeant, et à toutes les équipes », s’émouvait un autre.

Ladite solidarité est-elle sincère ou de façade ? La question peut se poser, bien sûr… mais il semble toutefois que la filière s’inquiète légitimement de la mauvaise passe que traverse CDI car, comme l’écrit l’un des acteurs du marché : « Ils sont concurrents mais surtout confrères (…) Lorsque l’on a en face des professionnels comme eux, on sait que c’est bon pour le secteur. La nouvelle de ce soir n’est pas bonne pour le marché de la cuisine, et j’espère que l’issue sera positive. »

C’est aussi l’avis de Cédric Gauchet, président de Discac, qui, réagissant à cette nouvelle dans les colonnes de notre confrère culturecuisine-lemag.com, a parfaitement résumé le ressenti général : « C’est bien sûr un choc dans le paysage français de la cuisine : une marque emblématique avec une très longue histoire industrielle, c’est un coup dur. Attention, un RJ, ça n’est pas la fin du chemin, il y a encore plein de possibilités de s’en sortir. Mais c’est une nouvelle preuve, s’il en était besoin, de la violence de la crise que traverse notre secteur. »

En somme, le redressement judiciaire de CDI vient rappeler à tout un chacun que nul – en cette période pour le moins chahutée que traverse le marché – n’est à l’abri d’un “coup de tabac” potentiellement fatal.

Différence de perception entre le terrain et la réalité ?

Et pour cause : pour la seconde année consécutive, les résultats enregistrés par la filière en 2024 sont tout sauf encourageants, ainsi que l’a expliqué L’institut de la Maison-IPEA : « La cuisine enregistre cette année encore un recul marqué de ses ventes, a-t-il décrypté lors d’une conférence de presse en février dernier. Entre des ménages “frileux” en matière d’investissement dans un nouveau logement, un marché de l’immobilier neuf au plus bas et l’immobilier ancien “en panne”, les obstacles étaient trop nombreux pour que le segment de la cuisine intégrée puisse espérer faire mieux. »

Le constat est sans appel : le rebond attendu après un exercice 2023 chahuté (-6,9 %) ne s’est pas concrétisé, et la cuisine équipée a continué de souffrir l’an passé, en réalisant un chiffre d’affaires TTC de 3,7 Mds €, en recul de 6,2 %, et en totalisant 26,7 % des parts de marché de la filière meuble (-0,2 %).

il convient de préciser à ce stade que les chiffres communiqués par l’IPEA correspondent à un CA TTC et à des évolutions enregistrées par les différents réseaux de distribution vendant de la cuisine équipée en France : entre autres la grande distribution ameublement (Ikea, But, Conforama, etc.), les grandes surfaces de bricolage (Leroy Merlin, Castorama, etc.) et les spécialistes, que notre confrère Kitchen Win annonçait, dans son émission du 13 février dernier, parfaitement synchrones avec la performance du segment, soit à -6,2 %.

Or certains acteurs et observateurs de la profession se sont étonnés de la faible amplitude de cette baisse, au regard des informations qu’ils obtenaient sur le terrain auprès de l’une et l’autre enseigne. Interrogé à ce sujet par Kitchen Win, Christophe Gazel, directeur général de l’IPEA, a apporté une explication intéressante : « La réalité de 2024, c’est le fait qu’on a une différence énorme entre l’urbain et le rural d’une part, et les réseaux et les indépendants d’autre part. Le problème de tout le monde, c’est la fréquentation. Et cette différence de perception de la réalité est liée à ceux qui ont la capacité de faire venir des gens en magasins, par rapport à d’autres qui sont moins en état de le faire (…) Certains n’ont pas vu “passer le train”, parce que l’arme clé de l’évolution de notre métier, notamment dans les mois à venir, c’est cette capacité à générer un trafic qualifié. Or ceux qui n’ont pas les moyens de communiquer ne voient pas passer grand monde. »

En ce qui concerne les fabricants, le recul de l’activité en 2024 semble avoir été plus conséquent. Si la rédaction de Cuisines & Bains Magazine ne dispose malheureusement pas de chiffre “officiel” à communiquer à ses lecteurs concernant les performances des industriels vendant, dans l’Hexagone, des cuisines équipées, elle peut néanmoins faire état de certaines tendances : « Au sein du panel des fabricants français de l’ameublement dont nous faisons partie (en compagnie de Schmidt, Fournier, Discac, groupe STF, etc.), nous observons un repli moyen de 12 % l’an passé, du fait de raisons connues et sur lesquelles je ne reviens pas en détails : inflation, crise immobilière, taux d’intérêt élevés, incertitudes politiques, etc. » explique Valéry Cottel, président du groupe Réma/You/Portéa.

Les résultats de l’industrie et de la distribution décorrélés ?

Les fabricants français affichent cependant des résultats disparates : le groupe en question accuse ainsi une baisse de 7 % (+ 0,2 % pour Charles Réma, -0,7 % pour Portéa et - 10 % pour You, dont - 5% pour l’activité cuisine classique), tandis que Discac « a “sauvé les meubles” en signant une croissance proche des 2 % », explique Cédric Gauchet. Pour sa part, le groupe STF (marques Cuisines Morel, Sagne Cuisines, Pronto, Ekimob), dont Stéphane Treboux préside aux destinées, « affiche une baisse lors du dernier exercice, relativement en phase avec le marché. Du reste, ce repli est homogène sur nos trois sites de production (Bretagne, Haute-Savoie et Gironde), malgré des positionnements différents. Toutefois, nous nous plaisons à constater une belle dynamique chez nos concessionnaires – nous allons atteindre la soixantaine cette année –, ce qui nous permet d’être en croissance sur ce canal. En revanche, chez les indépendants, le repli est plus marqué. »

Quid des deux leaders ? Selon un article publié par Les Echos le mercredi 12 février, le groupe Fournier (Mobalpa, Perene, SoCoo’c, Hygena) a encaissé, en 2024, une baisse « à deux chiffres », avec une activée annoncée par le quotidien « autour des 400 M€ ». Schmidt Groupe (Cuisines Schmidt, Cuisinella) fait état, quant à lui, d’un CA fabricant de 602 M€ dans la rubrique “Chiffres clés” de son site Internet, ce qui nous permet d’évaluer son repli à un peu moins de 10 % compte tenu du résultat annoncé en 2023 (668 M€) ; ce que confirme, du reste, un article du Journal des Entreprises publié le 12 février.

En revanche, les performances réalisées par les fabricants étrangers dans l'Hexagone sont plus compliquées à obtenir ; à titre d’exemple, les “grosses cylindrées” allemandes n’ont pas encore communiqué sur leurs résultats 2024, à notre connaissance.

Si l’on part, toutefois, de l’hypothèse que les industriels ont accusé, en France, un repli plus conséquent que les distributeurs, d’aucuns s’interrogeront sur cette différence. En effet, on est en droit de penser qu’il existe une corrélation directe entre les résultats de l’industrie et de la distribution sur le marché de la cuisine équipée, dans la mesure où il s’agit d’une activité dite “à la contremarque”, qui ne privilégie pas les stocks : aucune cuisine n’est pareille à une autre… À contrario, un marché comme la salle de bains, par exemple, constate parfois des phénomènes de déstockage massif de la part du négoce et de la GSB, qui décorrèlent mécaniquement leurs performances de celles des fabricants.

Un observateur avisé du marché nous a cependant expliqué ce phénomène : « Il s’agit en fait d’un décalage temporel qui se réconcilie. En effet, il faut comparer les chiffres de la production et du marché non pas sur un an, mais sur plusieurs exercices. Ainsi en 2023, l’industrie française de la cuisine équipée a signé un recul de 0,9 % tandis que la distribution a terminé en repli de 6,9 %, soit un delta de 6 % en faveur de la production. Or en 2024, on assiste au phénomène inverse : - 6,2 % pour le marché et - 12,2 % pour l’industrie. Sur deux ans, les résultats se rééquilibrent donc parfaitement. De fait, de 2019 à 2024, l’industrie française a réalisé une progression de 1,8 %… tout comme la distribution, à la virgule près ! Lorsque l’activité ralentit après une période de forte croissance, les fabricants continuent temporairement de “taper” dans leurs portefeuilles de commandes encore pleins, tandis que les distributeurs sont immédiatement confrontés à la baisse en question ; sur le temps, tout se rééquilibre. »après une période de forte croissance, les fabricants continuent temporairement de “taper” dans leurs portefeuilles de commandes encore pleins, tandis que les distributeurs sont immédiatement confrontés à la baisse en question ; sur le temps, tout se rééquilibre. »

Des volumes en chute libre depuis deux ans

Poursuivons notre analyse, en nous basant sur les chiffres fournis par l’IPEA. Selon ces derniers, la cuisine aura “dévissé” de 523 M€ ces deux dernières années, ce qui constitue un recul de plus de 12,5 %.

D’aucuns pourraient s’en tenir à un raisonnement simpliste et considérer que, au regard des croissances réalisées en 2021 et 2022 (presque 21 % en cumulé par rapport à 2020, et environ 17,2 % vs 2019, dernière année pré-Covid), ce repli accusé lors des exercices 2023 et 2024 a, somme toute, pu être encaissé presque sans douleur... Mais ce regard porté sur l’évolution du marché ne résiste pas à l’analyse. Ainsi faut-il également raisonner en volume, et non pas seulement en valeur : « Les résultats de la filière qui nous sont communiqués sont exprimés en valeur ; si en plus nous tenons compte de l’inflation, nous nous rendons compte que les volumes, pour leur part, sont en chute libre par rapport à 2021 et impactent de manière significative les marges », explique ainsi Cédric Gauchet.

En effet, considérons l’inflation ces deux dernières années : à en croire l’Insee, elle atteignait 4,9 % en 2023, pour redescendre à 2 % en 2024 : un taux beaucoup plus raisonnable mais qui – mis à part le pic de 2022-2023 – n’avait plus atteint ce niveau depuis… 2012 ! Or une baisse de CA en période d’inflation traduit un recul des volumes plus significatif que la baisse en question : si un fabricant répercute strictement l'inflation sur ses prix (c’est-à-dire qu’il augmente ses prix exactement du même pourcentage que ses coûts) et qu’il subit malgré tout une baisse de chiffre d'affaires, alors la baisse de volumes est nécessairement plus forte que la baisse du chiffre d’affaires. Pourquoi ? Parce que l'inflation aurait dû pousser mécaniquement le chiffre d'affaires vers le haut. Donc, pour que malgré cela le chiffre d'affaires diminue, cela signifie que les quantités vendues ont chuté encore plus que ne montaient les prix. Et, comme la marge unitaire n’a, pour sa part, pas augmenté (l’inflation étant répercutée d’un maillon à l’autre de la chaîne logistique), la marge globale diminue mécaniquement avec la baisse des volumes.

Ce raisonnement s’applique à plus forte raison aux fabricants, ne serait-ce que si l’on considère les économies d’échelle potentiellement réalisables ; on songe notamment aux négociations avec les fournisseurs (de panneaux, par exemple, ou encore de ferrures, charnières et coulissants) qui, lorsqu’elles portent sur des volumes importants, permettent souvent d’obtenir des remises. De plus, si les lignes de production ne tournent pas à plein régime, la main d’oeuvre est moins productive, donc (beaucoup) plus onéreuse.

Un nouvel espoir en 2025 ? sans doute pas…

Et à présent, l’avenir : que réserve-t-il au marché, notamment en 2025 ?

Quelque mots en préambule au sujet de cette première partie d’année, déjà couchée dans les bilans. Selon la note de conjoncture de janvier publié par l’IPEA, il semble que les performances de la filière meuble, qui affichaient alors un faible recul de 1,6 %, auraient pu être bien pire lors de ce premier mois si elles n’avaient pas été portées par les résultats de la cuisine, notamment ceux des spécialistes.

Toutefois, la note de conjoncture suivante est venue “doucher” cette lueur d’espoir en soulignant que les spécialistes cuisine « sont rentrés dans le rang » et et ont performé, en février, à l’aune de la filière meuble, c’est-à-dire mal.

« Pour l’heure, l’activité, en ce début d’année, reste globalement morose, détaille Cédric Gauchet. Et, quand bien même les taux d’emprunt venaient à s’améliorer dans les mois qui viennent, il faut souvent attendre plusieurs mois entre l’octroi d’un crédit et la livraison d’une cuisine. Aussi tablons-nous sur un exercice au mieux étale, au pire en baisse. » Une opinion que partage Stéphane Treboux : « En réalité, nous sommes sur une “nouvelle base de marché” qu’il faut accepter ; à charge pour l’industrie de s’en accommoder et de s’y adapter. » Quant à Valéry Cottel, il ne pense pas autrement : « Nous estimons que l’activité, cette année, sera globalement comparable à celle enregistrée l’an passé. Et pour cause : le secteur immobilier reste lent, les taux d’intérêt sont certes stabilisés, mais à un niveau relativement élevé, et les moteurs de croissance sont faibles. » Une belle unanimité à laquelle Christophe Gazel, sur le plateau de Kitchen Win, s’est également associé : « Le “trend” du marché de la cuisine sera le même qu’en 2024 ; je ne pense pas que nous ayons la capacité de faire mieux (…) Il y aura aussi, sans doute, pas mal de “morts” ainsi qu’un petit écrémage des points de vente. »

Ce qui ne signifie pas pour autant que la profession perde espoir et renonce à se battre, loin s’en faut : « Nous avons touché le fond de la piscine et prévoyons une légère croissance pour 2025 », affirmait ainsi aux Echos (dans l’article précédemment cité) Philippe Croset, directeur du groupe Fournier.

Parmi les leviers de croissance identifiés, la diversification occupe une place de choix au sein des stratégies des acteurs de la profession. Une diversification dont s’est d’ailleurs fait écho… l’article des Echos : « Les spécialistes ne se limitent plus aux seules cuisines. Schmidt, qui vient d’étendre son site de Sélestat (Bas- Rhin), vend depuis des années des meubles pour d’autres pièces. Tout comme Fournier, qui compte sur sa nouvelle unité de production d’Allex (Drôme), en service depuis septembre et dédiée à de l’agencement sur mesure : bibliothèque, dressing et ameublement divers. »

Ou encore comme Scavolini, dont la dernière campagne de communication illustre à merveille le fait que « la marque a grandi et a su s’adapter aux évolutions de la société, jusqu’à devenir une référence de l’ameublement, synonyme de “foyer” au sens le plus strict du terme », décrypte Roberto Gramaccioni, directeur général France du fabricant transalpin. La campagne met ainsi en scène Laura Pausini, chanteuse italienne de renom, « en train évoluer chez elle et vivre les espaces, où chaque décoration et complément fait partie du récit, poursuit Roberto Gramaccioni. Dans le salon, chaque détail semble transmettre une sensation de chaleur et d’accueil. Dans la cuisine, on perçoit la joie de partager des moments authentiques. Enfin, dans la zone de nuit et le dressing parfaitement équipé, c’est un monde fait d’émotions et des objets qu’elle affectionne qui se dévoile. Et c’est surtout un message fort qu’envoie Scavolini : nous nous inscrivons désormais dans une démarche de “Total Living”, d’agencement transversal de l’habitat à même de séduire de nouveaux clients ! »

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